Raphaël Glucksmann et la Géorgie : qu'est-il reproché au candidat PS-Place Publique aux européennes ?

Jordan Bardella ainsi qu'une affiche attribuée au PCF ont mentionné le passé de Raphaël Glucksmann, qui a été conseiller du président géorgien au début des années 2010. Mais qu'en est-il vraiment ?

Raphael Glucksmann a été le conseiller du président géorgien Mikheil Saakachvili, un passé souvent mis en avant par ses adversaires politiques (Photo by Andreas SOLARO / AFP)
Raphael Glucksmann a été le conseiller du président géorgien Mikheil Saakachvili, un passé souvent mis en avant par ses adversaires politiques (Photo by Andreas SOLARO / AFP)

Un passé au coeur des critiques. Si Raphaël Glucksmann jouit d'une dynamique positive dans les sondages, la tête de liste PS-Place Publique aux européennes doit essuyer plusieurs critiques sur son passé. Tancé pour son soutien à Nicolas Sarkozy en 2007, Raphaël Glucksmann l'est aussi concernant son expérience en Géorgie entre 2009 et 2012, où il fut conseiller de Mikheil Saakachvili, alors président du pays.

"Vous avez travaillé pour le compte de gouvernements étrangers, pas moi, pour un président géorgien qui est aujourd'hui en prison", lui lançait notamment la tête de liste RN Jordan Bardella, sur France Inter vendredi.

Visé par une affiche du PCF

Ce week-end, c'est une affiche attribuée au PCF qui a fait polémique. "Qui va aller mourir en Ukraine ? Raphaël Glucksmann, un sacré salaud, veut envoyer les enfants d'ouvrier à la guerre. Ne lui demandez pas ce qu'il faisait en Géorgie entre 2009 et 2012", clame l'affiche avec une photo de Raphaël Glucksmann. Une affiche que le coordinateur de l'exécutif national du PCF, Igor Zamichiei a dénoncé, affirmant que le "PCF n'est pas à l'origine de cette initiative et la condamne".

Une rencontre sous une tente, en 2004

Raphaël Glucksmann a rencontré Mikheil Saakachvili dès 2004, à Kiev, sous une tente, alors qu'il réalisait un documentaire sur la révolution orange en Ukraine. Un mouvement que le président Saakachvvili, tout juste élu, était venu soutenir.

Quelques années plus tard, Saakachvili est réélu en 2008 dès le premier tour après avoir traversé une grave crise politique, suite à des accusations de meurtre et de corruption portées contre le président et ses alliés par un ancien associé. Face à la crise, il avait envoyé les forces de l'ordre contre les manifestants, déclaré l’état d’urgence et imposé une censure à tous les médias de masse.

Un accrochage avec un général russe au coeur de son engagement en Géorgie

En août 2008, l'armée géorgienne multiplie les accrochages avec la milice des séparatistes sud-ossètes, soutenue et formée par la Russie. La Russie envoie alors des troupes, défait la Géorgie, et déclare l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud comme États indépendants. La Géorgie dénonce alors une annexion.

Lors de l'invasion russe, Raphaël Glucksmann est sur place, cette fois-ci pour tourner un film sur la situation en Géorgie. Coincé à un barrage, il raconte avoir eu un accrochage avec un général russe.

Saakachvili, "avant tout un ami"

"Tas de pédés, rentrez chez vous baiser vos nègres, ici c’est pas l’Europe, c’est la Russie". Voilà ce que nous a dit le général Borrisov. À cet instant, je me suis dit que faire un autre film ne suffisait pas. Que je voulais aider les Géorgiens", explique Raphaël Glucksmann, qui se convainc de rester en Géorgie. Il se rapproche alors du président Saakachvili et devient son conseiller, même s'il le considère comme "avant tout un ami".

C'est à cette époque que naît la rumeur selon laquelle Raphaël Glucksmann serait un agent de la CIA. Rumeur aujourd'hui au coeur d’une campagne de désinformation le visant sur les réseaux sociaux, provenant de comptes liés à la Chine, a fait savoir mardi son entourage.

La naissance de la rumeur d'agent de la CIA

Auprès de Saakachvili, Glucksmann sensibilise le président à l'intégration européenne, soutient une intégration à l'Otan et à l'UE de la Géorgie, notamment face aux velléités de Vladimir Poutine, et participe aux discussions avec l'Europe sur la menace de la Russie pour la Géorgie.

"J'étais chargé de coordonner les réformes et la politique qui permettait l'accord d'association de la Géorgie avec l'Union européenne", explique-t-il à France Info, et dit avoir appris à ce moment-là à connaître en profondeur "la technocratie européenne" et les arcanes de l'Union.

"Ignorait-il vraiment tout des excès de la police, des tortures dans les prisons"

Durant ses années auprès de Saakachvili, Glucksmann "joue un rôle d'apaisement, explique l'ambassadeur de France à Tbilissi, Eric Fournier, au Monde en 2011. Il essaie de montrer à Saakachvili que l'Europe se compose d'autres strates que balte ou ukrainienne." Un autre observateur étranger, à Tbilissi, a la dent plus dure. "Il est d'une légèreté hallucinante. Il crée un enthousiasme, puis il disparaît. Et intellectuellement, il n'est pas outillé", poursuit le Monde.

"Marié à celle qui a été vice-ministre de l'Intérieur, puis ministre, ignorait-il vraiment tout des excès de la police, des tortures dans les prisons et de la situation des droits de l'homme dans le pays ?", feint de s'interroger auprès de Marianne en 2012 Salomé Zourabichvili, aujourd'hui présidente de la Géorgie, mais surtout ancienne Ministre des Affaires étrangères de Saakachvili jusqu'à son renvoi en 2005, qui la pousse à rejoindre l'opposition. Raphaël Glücksmann s'en défend, convaincu du "désir européen" des Géorgiens, il explique avoir tenté de faire avancer la démocratie en Géorgie, "à tous les échelons".

Des vidéos de torture en prison dévoilées

Car durant ses mandats, Saakachvili fait face à plusieurs polémiques. Il est accusé d'avoir organisé l'arrestation pour abus de pouvoir de nombre d'anciens ministres, administrateurs locaux et hommes d’affaires associés à l’ancien régime. Des arrestations retransmises en direct.

En 2006, une opération dans les prison du pays, où un soulèvement aurait été en préparation, entraine la mort de sept détenus, une enquête indépendante, demandée par l'opposition, ne voit jamais le jour. La répression de manifestations est fréquemment dénoncée. En 2012, des vidéos de torture de prisonniers sont dévoilées.

Marié à la vice-ministre de l'Intérieur

Dans une interview à un magazine ukrainien, une militante géorgienne des droits de l'homme estime quand Saakachvili est arrivé au pouvoir il y avait 5700 prisonniers, 12 000 un an plus tard. Elle dénonce également les tortures, les "traitements inhumains" infligés aux prisonniers, ou encore des tirs de la police sur des "gens innocents", surtout des "jeunes".

En 2011, Raphaël Glucksmann se marie avec Eka Zgouladze alors vice-ministre de l'Intérieur de Géorgie qui deviendra ministre de l'Intérieur en 2012, le temps d'un interim de quelques semaines avant la chute de Saakachvili, en 2013.

Sa relation lui vaut aussi son lot de "fake news relayées par le RN"

Le couple part alors en Ukraine, et le président Saakachvili part en exil aux Etats-Unis. Une relation qui lui vaut aussi son lot de "fake news relayées par le RN" jusque dans l'hémicycle du Parlement européen, déplore son entourage, alors que Raphaël Glucksmann préside la commission spéciale sur l'ingérence étrangère dans l'ensemble des processus démocratiques de l'Union européenne.

Accusé d'abus de pouvoir lors des manifestations de 2007, de détournement de fond budgétaire le président Saakachvili fuit son pays, à sa défaite électorale. Après plusieurs années entre l'Ukraine, où il se rapproche du président Zelensky et les Etats-Unis, il retourne finalement en Géorgie ou il est arrêté en octobre 2021, pour purger ses huit années de prison.

Malgré plusieurs grèves de la faim, Mikheil Saakachvili reste emprisonné, le Conseil de l'Europe appelle à sa protection et à sa libération, le considérant comme un prisonnier politique. Amnesty International qualifie le traitement qui lui est réservé de "vengeance politique apparente".